Lesoir.be 13 juin 2024
Les amendes pour les dĂ©passements de bruit au-dessus de la RĂ©gion sâaccumulent depuis des annĂ©es. Le cheminement administratif et lĂ©gal est long, trĂšs long. Et la « rentabilitĂ© » est affectĂ©e par les procĂ©dures qui permettent aux compagnies aĂ©riennes de payer au compte-gouttes.
En 1999, la RĂ©gion bruxelloise adoptait un arrĂȘtĂ© qui sanctionne les Ă©missions sonores des avions frĂ©quentant lâaĂ©roport de Bruxelles national (situĂ© juste Ă cĂŽtĂ©, Ă Zaventem en Flandre) et dĂ©passant les normes dâĂ©mission sonore rĂ©gionales. Pendant plus de 15 ans, ces normes et ces contraintes Ă©taient plutĂŽt thĂ©oriques dans un cadre politique (surtout) et juridique interrĂ©gional compliquĂ© (aĂ©roport en Flandre, normes bruxelloises, justice fĂ©dĂ©rale). Au total, ça fait donc 25 ans quâen thĂ©orie Bruxelles sâest donnĂ© les moyens de sanctionner les avions les plus bruyants au-dessus de son territoire. En 2017 seulement, lasse de ne pas ĂȘtre prise en considĂ©ration, la RĂ©gion dĂ©cidait dâappliquer pleinement son arrĂȘtĂ© de 1999. On ne se contenterait plus dâavertissements mais tout dĂ©passement donnerait lieu Ă un PV qui, si la justice nây donnait suite, serait ensuite soumis au tamis des normes bruxelloises et aux amendes qui y sont liĂ©es.
Câest chez Bruxelles-Environnement quâon peut trouver les chiffres illustrant comment ces amendes sonores sont appliquĂ©es et avec quel rĂ©sultat. RĂ©ponse : elles sont appliquĂ©es mais, jusquâici, avec un long processus qui fait surtout la fortune des avocats des compagnies aĂ©riennes (et de la RĂ©gion) et un rendement dĂ©passant difficilement les 10 %. Explications
5.000 infractions par an
« Chaque mois, Bruxelles-Environnement croise les mesures de bruit relevĂ©es par ses stations de mesures avec la liste des avions qui ont dĂ©collĂ© ou atterri Ă Brussels Airport. Cette analyse permet dâidentifier, par compagnie aĂ©rienne, les vols qui ne respectent pas les normes de bruit et de les consigner dans un procĂšs-verbal envoyĂ© au parquet du procureur du Roi, qui a 6 mois pour dĂ©cider dâentamer des poursuites pĂ©nales », dĂ©taille-t-on chez Bruxelles-Environnement. Ce nâest quâaprĂšs ce dĂ©lai de 6 mois, vu lâabsence de poursuites pĂ©nales, que lâadministration bruxelloise peut lancer sa procĂ©dure dâamende administrative. « Il existe par consĂ©quent un dĂ©calage entre le moment oĂč lâinfraction est commise, le constat de cette infraction et la sanction administrative. Actuellement, des procĂ©dures sont entamĂ©es pour les infractions commises au dernier quadrimestre de 2022. »
Les statistiques montrent quâen moyenne sur les dix derniĂšres annĂ©es (2013-2023), environ 5.000 infractions sont constatĂ©es chaque annĂ©e (56.208 infractions sur 10 ans, soit une moyenne annuelle de 5.110 pour ĂȘtre prĂ©cis, ou 14 par jour). Une fois ces infractions constatĂ©es, elles sont vĂ©rifiĂ©es (un mĂȘme vol peut engendrer plusieurs dĂ©passements des normes dans les trois zones soumises Ă contrĂŽles par les stations de mesures des sonomĂštres). De 2013 Ă 2017, avant lâapplication stricte du dĂ©cret, une tolĂ©rance de dĂ©passement Ă©tait autorisĂ©e : 9 dĂ©cibels de jour, 6 dĂ©cibels de nuit. Les dĂ©passements en dessous de ces tolĂ©rances faisaient simplement lâobjet dâun avertissement envoyĂ© aux compagnies aĂ©riennes. Les dĂ©passements au-dessus de ces seuils tolĂ©rances faisaient lâobjet dâun procĂšs-verbal dâinfraction. Depuis 2017, tous les dĂ©passements donnent lieu Ă des PV.
Seulement 1,5 million dâeuros payĂ©s
Parmi ces PV, un petit nombre fait lâobjet dâune amende administrative de la part de la RĂ©gion, en moyenne 84 par an avec des grands Ă©carts selon les millĂ©simes : de 32 (2013) Ă 193 (2019). Ces amendes donnent thĂ©oriquement lieu Ă une perception qui varie selon lâimportance du dĂ©passement des normes, de lâheure, de la mĂ©tĂ©o, de la proximitĂ© des pistesâŠ
Au total, sur les 10 derniĂšres annĂ©es, ce sont 16.680.392 euros qui ont Ă©tĂ© signifiĂ©s aux compagnies aĂ©riennes pour un total de 929 amendes (soit une moyenne de 17.955 euros par amende). « Durant la pĂ©riode allant de 2013 Ă 2023, environ 350 amendes ont Ă©tĂ© payĂ©es, reprĂ©sentant un montant dâenviron 1,5 million dâeuros », reconnaĂźt-on chez Bruxelles-Environnement. Ce qui reprĂ©sente un tiers des amendes mais seulement 10 % des montants.
Car la procĂ©dure sâavĂšre longue, trĂšs longue : « Les procĂ©dures sont complexes car la plupart des dĂ©cisions prises Ă lâencontre des compagnies aĂ©riennes font systĂ©matiquement lâobjet dâun recours auprĂšs du CollĂšge dâenvironnement et ensuite auprĂšs du Conseil dâĂtat. Il sâĂ©coule par consĂ©quent de nombreuses annĂ©es avant quâune dĂ©cision ne devienne dĂ©finitive, surtout lorsque des questions prĂ©judicielles sont posĂ©es Ă la Cour constitutionnelle. Le contentieux sâĂ©tend Ă©galement au recouvrement des amendes, que les compagnies aĂ©riennes contestent auprĂšs des cours et tribunaux. Ainsi, environ 150 dossiers sont actuellement pendants auprĂšs du Conseil dâĂtat dont des recours datant de 2019. Ainsi Ă©galement, suite Ă lâactivation de lâensemble des contraintes de paiement par Bruxelles FiscalitĂ© fin 2023 (environ 16 millions dâeuros), une partie des compagnies sâoppose Ă la procĂ©dure de recouvrement (environ 14 millions dâeuros). »
La protection des riverains sâavĂšre donc une Ă©cole de patience. Lucrative pour certains : « La gestion de cette thĂ©matique exige une expertise technique et juridique particuliĂšre. Pour dĂ©fendre leurs intĂ©rĂȘts, Bruxelles-Environnement et la RĂ©gion bruxelloise sont conseillĂ©es et reprĂ©sentĂ©s par des avocats. Le traitement dâun recours auprĂšs du Conseil dâĂtat coĂ»te environ 4.000 euros HTVA. » Un recours au Conseil dâĂtat qui nâest quâune des dĂ©marches juridiques utilisĂ©es.
Par Eric Renette